Un article de Robert Biswas-Diener publié dans « Psychology Today »  
traduit en français et commenté par Maroussia Chanut

 

La psychologie en général, et la psychologie positive en particulier, sont différentes de toutes les autres sciences. Parce que chaque être humain a une expérience personnelle des concepts psychologiques les émotions, la motivation et la prise de décision, par exemple les gens ont tendance à se faire une opinion sur ces sujets. Il est rare de trouver un profane qui ait une opinion ferme sur la transformation   des variables (un terme mathématique), qui ait une théorie sur la réfraction de la lumière » (physique) ou qui croit que certains résultats de la recherche sur les télomères (biologie) pourraient être surestimés. En revanche, vous rencontrez souvent des gens qui ont une opinion bien arrêtée sur les causes du bonheur ou qui peuvent s’inspirer de statistiques supposées sur la relation entre l’argent et le bonheur. C’est en partie parce que les gens sont généralement plus intéressés par le bonheur que par la réfraction de la lumière (désolée pour les physiciens). C’est aussi, en partie, le résultat de la désinformation et des malentendus liés à la science de la psychologie positive. Voici 5 hypothèses courantes sur des sujets de psychologie positive qui ne sont pas vraies :

 

  1. Les personnes gravement handicapées s’adaptent à leurs premiers niveaux de bonheur : En 1978, Brickman, Coates et Janoff-Bullman ont publié un article sur le bonheur des gagnants de loterie et des victimes d’accidents. De nos jours, leurs conclusions sont généralement interprétées par les profanes comme des preuves encourageantes que les gens peuvent s’adapter à presque n’importe quoi. Malheureusement, l’article original a montré que les 29 victimes d’accident, interrogées entre un mois et un an après leur accident, ont déclaré qu’elles pensaient que l’accident était à peu près la pire chose qui pouvait leur arriver. Ils ont fait état d’une baisse significative du plaisir et se sont également souvenus que le bonheur passé était significativement meilleur que celui des membres d’un groupe témoin. Leur bonheur actuel était plus élevé que ce à quoi on pouvait s’attendre et leur bonheur futur prévu n’était pas différent de celui des témoins. Les auteurs ont conclu que les personnes handicapées avaient tendance à idéaliser leur passé et que cela n’aidait pas leur bonheur actuel. Cette constatation, à savoir que l’incapacité est difficile sur le plan psychologique, a été reproduite à partir d’échantillons plus importants et de plans de recherche plus sophistiqués. Une constatation intéressante à ce sujet est que le revenu est un facteur qui influe sur la façon dont les personnes handicapées s’adaptent à leur nouvelle situation et dont les personnes plus aisées vraisemblablement capables de s’offrir plus d’aide et de commodités.

Note commentée : il y a un travail de deuil à faire après toute perte qui compte dans nos vies. La comparaison entre handicap de naissance (ou arrivé tôt dans la vie) et handicap en cours de vie (par exemple un accident de moto qui prive a personne de l’usage de ses jambes) peut apporter certains éclairages, les personnes du premier groupe sembleraient avoir une meilleure acceptation de leur handicap que celles du second groupe puisque le phénomène de « perte »  est moins prégnant. Toutefois cette interprétation est relative. Il convient aussi de noter qu’un travail de deuil peut prendre la vie entière et qu’un deuil peut rester irrésolu pour la personne, puisqu’il consiste en fin de compte à reconstruire une nouvelle réalité qui ne remplacera jamais la précédente et sera différente en tous les cas. Cette nouvelle réalité et notamment la façon dont elle est vécue (comme négative, neutre ou positive, qu’ai-je gagné à cet accident de vie) joue un rôle certain dans l’acceptation du deuil et de la perte.

 

  1. 40% de votre bonheur est le résultat de vos propres choix : Cette idée est le résultat d’un fameux diagramme circulaire créé par Sonja Lyubomirsky qui, curieusement, ne croit pas elle-même à ce mythe. Lyubomirsky a simplement résumé la recherche qui suggère que la génétique, les circonstances de la vie et les choix personnels sont tous impliqués dans les différences de niveaux de bonheur entre les gens. Malheureusement, le public s’est enfui avec ce diagramme et l’a mal interprété comme s’il avait quelque chose à voir avec le bonheur d’un individu ; ce n’est pas le cas. Si vous y pensez, il est absurde de dire que 40% de votre bonheur est le résultat de vos choix personnels. De plus, chez un individu, il n’est pas logique de séparer la génétique des circonstances des choix personnels. Les trois interagissent et s’influencent mutuellement. En fin de compte, c’est l’esprit du diagramme circulaire que les gens apprécient : l’idée que vous avez un certain contrôle sur votre propre bonheur. Rassurez-vous, ce sentiment est juste.

Note commentée : le diagramme auquel il est fait référence indique que 50% de notre propension à être heureux dépend de notre génétique, 40% de nos choix personnels et 10% seulement de nos ressources et possessions matérielles. Il convient en effet de nuancer l’interprétation de ce diagramme, l’idée prépondérant étant que nous avons une part d’action non négligeable sur les conditions de notre propre bonheur. Référence: http://sonjalyubomirsky.com/

 

3 Gagner plus d’argent ne vous rendra pas plus heureux : C’est un mythe très populaire et vous l’entendez exprimé de diverses façons. Parfois c’est « l’argent n’a d’importance pour le bonheur que jusqu’à 10 000 dollars par an et puis ça n’a plus d’importance »; et parfois c’est « Plus les pays s’enrichissent, moins ils sont heureux. » Dans un cas comme dans l’autre, les données n’étayent pas exactement ces déclarations bien intentionnées. Les gens s’intéressent à ces mythes en grande partie à cause de leurs messages anti-matérialistes. Malheureusement, gagner plus de revenus semble être associé à plus de bonheur et au niveau national le revenu du ménage prédit de façon fiable le bonheur. En effet, l’argent peut se traduire par une sécurité psychologique, davantage de loisirs et d’activités de croissance personnelle, une meilleure poursuite des objectifs, une meilleure infrastructure nationale et toute une série d’autres avantages individuels et collectifs.

Note commentée : Il semblerait en tous les cas d’après d’autres recherches qu’il y ait un impact sur le bonheur personnel jusqu’à 50 000 euros de revenus annuels et qu’après, il y ait beaucoup moins de différence entre une personne qui gagne 5 millions et une personne qui gagne 50 000 qu’entre une personne qui gagne 5000 et une personne qui gagne 50 000.

Il serait plus juste de dire que « la situation financière peut influer sur le bonheur, mais ce n’est certainement pas le facteur le plus important ».

 

  1. La bonne humeur motive le changement : Il y a longtemps eu une supposition au nom des laïcs que les émotions motivent le comportement. On peut le voir quand quelqu’un dit : « J’ai crié parce que j’étais en colère. » Les scientifiques modernes ont tendance à faire la distinction entre l’expression émotionnelle ( par exemple crier) et le sentiment réel d’émotion. Les émotions sont de l’information, vous donnant un rapide coup de pouce en haut ou en bas sur la qualité actuelle de votre vie. Les émotions donnent un aperçu. Elles peuvent ouvrir la voie au changement, mais pas nécessairement. Les gens essaient souvent d’éviter les émotions négatives parce qu’ils craignent de causer des actions négatives et de promouvoir des émotions positives parce qu’ils croient qu’elles causeront des actions positives. Vous pouvez éviter ce piège commun en considérant l’émotion comme un système radar très sophistiqué qui balaye votre horizon.

Note commentée : Je suis complètement d’accord avec ce point : l’émotion joue en fait le rôle d’un indicateur, qu’il se passe quelque chose en moi ou en l’autre à cet instant précis. Ainsi en coaching une personne qui pleure n’amène pas de le part du coach un comportement du type « Ce n’est rien, reprenez-vous », au contraire cela peut (parmi d’autres hypothèses bien sûr) être le signal qu’on va maintenant déposer quelque chose, une souffrance, et démarrer un travail neuf derrière.

  1. Le bonheur est notre état désiré : Il y a de nombreuses raisons de croire que le bonheur est désirable. Dans une étude, des gens du monde entier ont estimé qu’être heureux l’emportait sur d’autres objectifs souhaitables tels que tomber amoureux ou même aller au paradis. Non seulement cela, mais il y a des preuves émergentes que le bonheur stimule la sociabilité, la créativité et votre système immunitaire. Le bonheur ne guérit peut-être pas le cancer, mais il semble être capable de se défendre contre le rhume. Il est donc facile de comprendre pourquoi les gens pensent que le bonheur est si désirable. Il est important de noter que si le bonheur est bénéfique, il n’est pas nécessairement quelque chose que nous devrions vivre intensément. Une étude, par exemple, a montré que des sentiments extrêmement positifs peuvent rendre d’autres événements moins positifs par contraste. De même, le fait d’être entièrement satisfait de la vie semble nuire à la réussite. Les étudiants qui sont très satisfaits ont une moyenne pondérée cumulative inférieure à celle de leurs homologues qui sont simplement satisfaits et les gens qui sont dans les 80 % pour la joie et la satisfaction gagnent moins d’argent que leurs homologues super heureux. Il se peut qu’il y ait plus dans la vie que d’obtenir de bonnes notes et de gagner de l’argent, mais c’est une première preuve que le bonheur est bon pour certaines choses (par exemple la santé), mais qu’une trop grande partie de ce bonheur peut aller à l’encontre de la réussite.

 

Note commentée : c’est résumé un peu rapidement mais en gros, les bonnes notes et la réussite objective ne génèrent pas automatiquement un niveau de bonheur élevé chez la personne : sa perception du bonheur dépend de facteurs qui lui sont propres, de la même manière que la notion de réussite est propre à chacun (typiquement, par exemple réussir d’abord sa vie personnelle ou professionnelle est un choix subjectif et l’impact de la réussite dans un de ces deux domaines sera plus fort selon les personnes, en positif ou en négatif) 

 

En fin de compte, je n’ai pas l’intention de dénigrer la science de la psychologie positive. Les nombreuses découvertes utiles qui ont émergé de ce domaine sont légion : les humeurs positives stimulent le fonctionnement immunitaire, garder une trace de vos gentillesses peut favoriser le bonheur, les personnes très optimistes réussissent mieux dans un large éventail de tâches, célébrer le succès d’un partenaire romantique est un bon indicateur de la longévité de la relation, et la liste est longue. Les résultats sont si nombreux et si variés que nous n’avons pas besoin de perdre notre temps à nous accrocher aux mythes qui découlent de mauvaises interprétations des résultats de la recherche.

Note commentée : ce que je trouve intéressant dans cet épilogue est l’idée reprise de l’introduction selon laquelle il y a de gros écueils entre projections populaires sur le domaine des sciences positives (champ d’étude scientifique sur le bonheur) et réalité scientifique de ce qu’on peut avancer ou pas : il y a un gros travail de médiation scientifique pour les coachs à fournir à ce sujet !

 

Source : https://www.psychologytoday.com/intl/blog/significant-results/201304/5-myths-positive-psychology